REMBRANDT: Jésus revenant du temple avec ses parents (contre-épreuve) - 1654

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Prix : 34 000 €

Bartsch 60 ; Hind 278 ; New Hollstein 276, état unique.

Contre-épreuve de l’eau-forte imprimée sur papier vergé avec partie d’un filigrane Folie au bord supérieur de la feuille (New Hollstein, text II, p. 227 ; Hinterding, Foolscap with five-pointed collar, [Folie à cinq pointes] Gb, 1654, vol. II p. 123) ; petites marges avec la présence d’une cuvette décalée de deux millimètres par rapport au sujet (feuille 100 x 149 mm).

Annoté au crayon au verso : The Reverse [Contre-épreuve].

Provenance : Charles Delanglade (né en 1870) (Lugt 660) cachet de collection imprimé  au verso.

Quelques légères rousseurs ; petite déchirure verticale dans la marge inférieure à gauche entrant de 5 mm dans le sujet ; petite épidermure dans l’angle supérieur gauche ; sinon en très bonne condition.

Le New Hollstein recense trois contre-épreuves de cette gravure : British Museum (1843,0607.36), Fitz William Museum (23.K.5-80), Petit Palais, collection Dutuit (GDUT7730).

Les contre-épreuves des estampes de Rembrandt qui ont conservé une marge peuvent présenter comme celle-ci une cuvette plus ou moins marquée : par exemple, Mendiants recevant l’aumône à la porte d’une maison ; La chaumière et la grange (British Museum) ; Famille de paysans en voyage ; Vue d’Amsterdam depuis le kadijk (Rijksmuseum). Contrairement à une idée répandue, la présence de cette cuvette témoigne d’une impression réalisée dans les règles de l’art en plaçant l’épreuve fraîchement imprimée sur la plaque retournée, comme l’explique Abraham Bosse :

« Avant que finir je vous dirai ce que c'est que les Imprimeurs appellent épreuve & contr'épreuve: Épreuve est la première, deuxième ou troisième estampe, qu'ils tirent d'une planche qui n'a point encore imprimé, ou de ceux que l'on remet en train : La contr'épreuve se fait avec ladite épreuve en cette sorte ; à savoir qu'ayant fait l'épreuve, l'on la met uniement toute fraîche par son envers sur la planche qui l'a faite ; puis l'on met sur la icelle épreuve une feuille de papier trempé, ensuite dessus la maculature & ensuite les langes ; & alors on fait passer le tout entre les rouleaux, & ayant levé ladite feuille, on trouve que l'épreuve a fait la contr'épreuve sur ladite feuille de papier : cela est fait d'ordinaire pour voir plus aisément à corriger, d'autant que ladite contr'épreuve est suivant le dessin, à savoir tournée de même côté. »[1] (Traicté des manieres de graver en taille douce sur l’airin par le moyen des Eaux Fortes, & des Vernix Durs & Mols. 1645, p. 73).

On lit également dans l’Encyclopédie méthodique de Watelet, à l’article Contr’épreuve, que l’impression d’une contre-épreuve « est utile aux graveurs, parce qu’elle leur montre l’estampe a laquelle ils travaillent dans le même sens que le dessin ou tableau qu’ils copient, & qu’elle leur fait voir plus aisément s’ils s’en sont écartés. ». Mais l’auteur de l’article ajoute judicieusement : « Cependant les graveurs négligent assez ordinairement de se procurer une contre-épreuve de leurs estampes. »[2]. Si Rembrandt a peut-être imprimé parfois certaines contre-épreuves dans le but de retravailler le cuivre, cela n’explique pas qu’il en ait souvent imprimé plusieurs et qu’elles ne portent aucune indication, comme le souligne Christopher White[3]. Le fait que certaines contre-épreuves soient imprimées sur papier Japon, comme celle de Jésus revenant du temple avec ses parents dans la collection Dutuit, laisse plutôt penser qu’il pouvait répondre à la demande de collectionneurs.

La scène représentée dans cette gravure succède à Jésus au milieu des docteurs, qui, comme l’observe Charles Rosenberg, illustrait « un moment important dans les Évangiles synoptiques, car elle marque la première fois que le garçon, reconnaissant son destin, agit de manière indépendante et remet en question l'autorité de l'Ancienne Loi » [4]. Charles Rosenberg rappelle également que Jésus revenant du temple avec ses parents était la première œuvre traitant le thème du retour du Christ à Nazareth avec ses parents après sa dispute avec les docteurs du Temple, et qu’elle a « de ce fait parfois été mal identifiée.

Le catalogue d'Edme-François Gersaint l'a répertoriée comme une représentation de la Fuite en Égypte, et le catalogue d'Adam von Bartsch l'a désignée comme Le Retour d'Égypte [5].

Jésus au milieu des docteurs et Jésus revenant du temple avec ses parents illustrent l’épisode relaté dans l’Évangile selon St Luc : « Les parents de Jésus allaient chaque année à Jérusalem, à la fête de Pâque. Lorsqu'il fut âgé de douze ans, ils y montèrent, selon la

coutume de la fête. Puis, quand les jours furent écoulés, et qu'ils s'en retournèrent, l'enfant Jésus resta à Jérusalem. Son père et sa mère ne s'en aperçurent pas. Croyant qu'il était avec leurs compagnons de voyage, ils firent une journée de chemin, et le cherchèrent parmi leurs parents et leurs connaissances. Mais, ne l'ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem pour le chercher. Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. Tous ceux qui l'entendaient étaient frappés de son intelligence et de ses réponses. Quand ses parents le virent, ils furent saisis d'étonnement, et sa mère lui dit: Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous? Voici, ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse. Il leur dit: Pourquoi me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas qu'il faut que je m'occupe des affaires de mon Père? Mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait. Puis il descendit avec eux pour aller à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait toutes ces choses dans son cœur. Et Jésus croissait en sagesse, en stature, et en grâce, devant Dieu et devant les hommes. » (2, 41-52 ; traduction Louis Segond)

Dans la gravure de Rembrandt, illustrant les derniers versets, le mouvement des personnages traduit l’état d’âme de chacun : la solidité de Joseph, marchant d’un pas ferme, bâton en main, protecteur de l’enfant, dont il tient la main serrée dans la sienne ; l’inspiration de l’Enfant Christ qui retient son pas, les yeux levés vers le ciel, la main posée sur celle de sa mère ; le recueillement pensif de Marie qui abandonne sa main à celle de l’Enfant, dont elle suit le pas.

La composition de la gravure est inspirée du tableau de Rubens Le Retour d'Égypte de la Sainte Famille (conservé au Wadsworth Atheneum Museum of Art) dont Rembrandt peut avoir vu les gravures réalisées par Schelte Bolswert : Et erat subditus illis (1620) et Lucas Vosterman : Dei et Matris et Filii fvgam in Aegyptam (1620). La tension dramatique de la scène dans l’eau-forte de Rembrandt contraste cependant avec la nonchalance et la tranquillité des personnages dans le tableau de Rubens et les deux gravures.

Références : Abraham Bosse, Traicté des manieres de graver en taille douce sur l’airin par le moyen des Eaux Fortes, & des Vernix Durs & Mols. Ensemble de la façon d’en imprimer les Planches & d’en Construire la Presse, & autres choses concernans les dits Arts, 1645 ; Claude-Henri Watelet, Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts (1788) Panckoucke, 1788, article de M. Levesque,  p. 147 ; Christopher White, Rembrandt as an etcher, Yale University Press, 1999, p. 11; Charles Rosenberg, Rembrandt's Religious Prints: The Feddersen Collection at the Snite Museum of Art. Indiana University Press, 2017.

 

[1] Orthographe modernisée

[2] Claude-Henri Watelet, Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts (1788) Panckoucke, 1788, article de M. Levesque,  p. 147

[3] Christopher White, Rembrandt as an etcher, Yale University Press, 1999,p. 11.

[4] Charles Rosenberg, Rembrandt's Religious Prints: The Feddersen Collection at the Snite Museum of Art. Indiana University Press, 2017, p. 29

[5] Op. cit. p. 239