Jacques CALLOT : Les Grandes Misères de la Guerre - 1633

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VENDU

Eau-forte, 81 à 90 mm x 185 à 192 mm. Lieure 1339 à 1356.

Suite complète et homogène de dix-huit planches, en tirage avec les vers, les numéros et l’adresse d’Israël Henriet, avant que celle-ci soit remplacée par les mots Callot inv. et fec. La série est constituée, comme à l’ordinaire pour les séries homogènes en tirage ancien, des états suivants selon les planches : Lieure 1339 (frontispice) en 3e état/3, L. 1340 à 1355 en 2e état/3, L. 1356 en 3e état/4. Les tirages du premier état, sans les vers attribués à l’abbé de Marolles, sont de toute rareté (RRRR selon Lieure).

Très belles épreuves imprimées sur papier vergé mince. Très bon état de conservation général. Sur la pièce de titre une bande de 18 mm sur le bord droit a été recollée. Grandes marges (feuilles : environ 185 x 285 mm).

Très belle impression avec les fonds clairement visibles, contrairement à de nombreuses autres épreuves à l’adresse d’Israël Henriet qui présentent des fonds déjà usés. À propos de la troisième planche de la série, La Bataille (L. 1341), Jules Lieure précise que « les premières épreuves seules donnent un fond très net, en particulier pour le combat d’infanterie, où le vernis a laissé passer l’eau-forte en maints petits endroits » (J. Lieure, p. 73). Sur notre épreuve le fond est encore bien visible, avec également quelques touches de pointe sèche notamment sur les lances des fantassins.

Six planches sont imprimées sur papier vergé au filigrane du huchet, dont quatre avec le filigrane de type Lieure 44, qu’il signale comme typiques de la série des Grandes Misères en 1er et 2e états/3. Les deux autres planches ont un filigrane d’un type proche de Lieure 47.

Les dix-huit cuivres sont conservés au musée lorrain de Nancy.

La suite des Grandes Misères de la guerre est l’œuvre la plus célèbre de Jacques Callot. Elle tient sa notoriété de son ampleur, de sa réussite technique et de son sujet. Elle est souvent considérée comme l’aboutissement d’un projet dont le premier essai serait l’ensemble des onze planches des Petites Misères, gravé peut-être en 1632, mais resté inachevé et publié seulement après la mort de Callot.

On a très peu d’informations sur la genèse de la seconde série des Misères. On ignore notamment si elle a eu un commanditaire. Le titre inscrit sur le frontispice, Les MISERES ET LES MAL-HEURS DE LA GUERRE, prête à confusion : il semble être en effet une condamnation de la guerre alors qu’un examen attentif des planches, de leur lettre et de leur enchaînement dément cette lecture simpliste. Loin de condamner les guerres ou de mettre en cause leur légitimité, les Misères ont en réalité pour thème la discipline des soldats en temps de guerre : « l’œuvre de Callot est composée pour démontrer combien la discipline des soldats et le respect du territoire occupé ou conquis doit être le souci constant de ceux qui ont mission de commander les armées ». (Marie Richard, p. 5-6). Paulette Choné observait à ce propos que l’historien de l’art Filippo Baldinucci (1625-1697) « qui décrit chaque planche en louant la technique et l’invention de Callot, rappelle que les Grandes Misères furent d’abord connues sous le titre La Vita del Soldato. Le titre des Misères dans l’inventaire après décès des biens du graveur est au reste La Vie des soldats. » (P. Choné, p. 397).

La composition de la série éclaire le propos de Callot. « L’ordonnancement des scènes gravées est d’une logique rigoureuse, nécessaire à toute instruction » (M. Richard, p. 72). Après la planche de titre, la série s’ouvre sur l’enrôlement du soldat et cette première sentence : Il faut que sa vertu s’arme contre le vice. La planche suivante présente un échantillon des batailles au cours desquelles l’invincible courage des soldats peut se manifester. Les planches 4 à 8 révèlent par contre « les abus et les cruautés commis en temps de guerre par les soldats, ennemis de la paix civile, au détriment de catégories de la population en principe protégées par le droit : les marchands et les voyageurs, les femmes et enfants, le clergé, les pauvres. » (P. Choné, p. 404). Les Misères ne s’arrêtent pas à ce constat : dans la 9e planche, les soldats dévoyés sont capturés par l’armée régulière et ramenés au camp. Les planches 10 à 14 répondent aux planches 4 à 8 qui décrivaient les abus des soldats, en détaillant cette fois les châtiments prévus pour ces débordements : les supplices de l’estrapade, de la pendaison, de l’arquebusade, du bûcher et de la roue. Il faut cependant remarquer que les Misères ne s’intéressent pas aux seuls soldats dévoyés et à leur châtiment : les trois planches suivantes évoquent les fortunes diverses des soldats, bons ou mauvais. Certains finissent leur vie à l’hôpital, sur le bord des routes ou même sous les coups des paysans prenant leur revanche. Enfin, « la conclusion exalte la sévérité et la reconnaissance d’un chef juste et avisé » (P. Choné p 409) qui punit les méchans et les bons recompance. Le châtiment des mauvais soldats et la récompense des vertueux serait ainsi « la leçon la plus évidente des Misères. »

Paulette Choné situe cette œuvre de Callot dans le contexte du débat relancé à partir de 1618 par la Guerre de Trente ans : « Les Misères adhérent étroitement aux inquiétudes contemporaines sur le recrutement des armées, les disciplines, les peines. » (p. 398). L’œuvre de Callot serait ainsi une contribution au « fondement juridique des États modernes » (p. 400).

Référence : Paulette Choné : « Les misères de la guerre, ou « la vie du soldat » : la force et le droit », in Jacques Callot, catalogue de l’exposition au Musée historique lorrain, à Nancy, 13 juin-14 septembre 1992 ; Marie Richard, Jacques Callot, Une œuvre en son temps, Les Misères et les Mal-heurs de la guerre, 1633, Nantes, 1992 ; Jules Lieure, Jacques Callot : Catalogue de L'Œuvre Gravé, vol. 2, éditions de la Gazette des Beaux-Arts, 1927.