Giovanni Battista FRANCO : Saint Jérôme dans la solitude - c. 1555

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Eau-forte et burin, 888 x 485 mm. Bartsch 38 ; The Illustrated Bartsch 38 ; The Genius of Venice n° P52.

Superbe épreuve imprimée sur papier vergé en trois feuilles raboutées, contrecollées sur une grande feuille de papier vergé. Cachet de collection dans l’angle inférieur droit (Lugt 971).

Présence d’un filigrane, visible en transparence au-dessus des mains de St Jérôme (sur la feuille imprimée ou sur la feuille de support) : Aigle à une tête inscrit dans un cercle surmonté d’une couronne (similaire à Briquet 209 - Vérone, 1582-1596).

 

 

Bon état de conservation général. L’épreuve, rognée au sujet, est la plus complète que nous connaissions. Quelques épidermures, deux très petits manques triangulaires dans les angles supérieur et inférieur droit, une déchirure verticale médiane dans la bande inférieure ; pli horizontal central. Empoussiérage et jaunissement de la feuille par endroits.

Provenance : Friedrich August II (1797-1854), roi de Saxe, Dresde (Lugt 971).

 

 

 

 

 

Nous n’avons recensé à ce jour que cinq épreuves. Quatre sont conservées dans des musées : British Museum, Metropolitan Museum of Art, Bibliothèque nationale de France, Domschatz- und Diözesanmuseum Passau (Graphische Sammlung des Bistums ; mentionnée dans Artificio et elegantia, p. 42, cat n°8) ; une épreuve a été vendue sur le marché américain en 2003 par David Tunick (citée dans Nouvelles de l’estampe, 2003, n°185-6, p. 77-78).

David Landau considère Saint Jérôme dans la solitude de Battista Franco comme « l’une des eaux-fortes les plus impressionnantes de la seconde moitié du 16e siècle » (The Genius of Venice, p. 347 ; traduit par nous). Selon Gert Jan Van Der Sman, le Saint Jérôme et la Crucifixion de Battista Franco marqueraient « l’apogée de la gravure au XVIe siècle » (Le siècle de Titien - Gravures vénitiennes de la Renaissance, p. 140). Ces jugements valent à la fois pour le style et la technique. David Landau souligne la maîtrise de Franco dont le Saint Jérôme est une synthèse du style des deux grands maîtres italiens de son époque : « le Saint Jérôme reflète à la fois la monumentalité de Michel-Ange tant admiré par Battista durant ses années de travail à Rome et l’impression que l’oeuvre du Titien a dû lui faire lorsqu’il rentra dans sa Venise natale en 1554 » (Landau, ibid. ; traduit par nous).

Pour graver Saint Jérôme dans la solitude Franco s’est en effet largement inspiré du Jérôme pénitent peint par Titien dans les années 1550 pour l’autel de Santa Maria Nuova à Venise (conservé aujourd’hui à la Pinacothèque de Brera à Milan). Quant à l’influence de Michel-Ange, elle est surtout sensible, comme l’observe Gert Jan Van Der Sman, « dans l’attention apportée à la musculature et à l’effet plastique du haut du corps » du vieil homme (Le siècle de Titien, p. 168).

Cette synthèse magistrale repose sur la maîtrise du dessin, qui faisait la renommée de Franco de son vivant, mais également de la technique de l’eau-forte, qu’il développa principalement après son retour à Venise. La force du Saint Jérôme dans la solitude réside dans l’harmonie entre la puissance de la composition et la finesse des lignes marquant le détail des mains, du visage, des cheveux, de la barbe et des muscles.

Cette alliance à la fois puissante et subtile de l’eau-forte et du burin caractérise le style de Battista Franco, comme le soulignait Wendy Thompson à propos d’une série de petits portraits gravés qu’elle proposait d’attribuer à l’artiste vénitien : « La combinaison de lignes gravées librement à l’eau-forte afin de créer la texture des cheveux, de la fourrure et des vêtements, et de hachures étroitement serrées gravées au burin afin de modeler les chairs, est caractéristique de nul autre que Battista Franco (1510-1561) […] » (Print Quarterly, vol. 26, 2009, p. 3 ; traduit par nous). On notera aussi dans Saint Jérôme dans la solitude le semis de petits points placés entre les traits parallèles, qui adoucit la froideur que produirait sinon leur régularité et permet de créer différentes textures (chairs, étoffes…).

Il faut souligner enfin la monumentalité de cette oeuvre. David Landau insiste sur ce point : « De plus, cette estampe est une immense réussite du point de vue technique, car elle a été gravée sur une seule plaque, peut-être la plus grande plaque utilisée en Italie au 16e siècle : la graver à l’eau-forte, puis au burin, l’encrer et l’imprimer a dû poser beaucoup de problèmes. » (The Genius of Venice, p. 347 ; traduit par nous).

L’un de ces problèmes est celui du support. David Landau s’interroge à ce propos : « En fait, toutes les épreuves que je connais sont imprimées sur deux ou trois feuilles de papier, mais je ne suis pas parvenu à déterminer si l’estampe a été imprimée dès l’origine sur plusieurs feuilles parce qu’il n’y avait aucune feuille de papier assez grande à disposition ou bien si l’estampe d’origine a été coupée à une date ultérieure afin de s’adapter à des albums de collection de tailles différentes. » (ibid. ; traduit par nous)

Les épreuves de la Bibliothèque nationale de France et du Metropolitan Museum of Art sont composées comme la nôtre de trois feuilles raboutées au même niveau, à quelques centimètres près : une première ligne d’assemblage se situe au niveau du coude gauche de Saint Jérôme, une seconde à la hauteur de son pied gauche. Les notices des épreuves du British Museum et du Diocèse de Passau mentionnent seulement deux feuilles dont l’assemblage est visible sur les photographies à la hauteur des mains de St Jérôme. Le découpage de ces deux épreuves étant différent de celui des trois précédentes, cela semble confirmer que Saint Jérôme dans la solitude a bien été gravé sur une seule grande plaque.

Nous ne connaissons aucune épreuve imprimée sur une seule feuille. Il paraît peu probable que la plaque ait été imprimée sur une grande feuille qu’on aurait ensuite découpée au lieu de la plier. Nous pensons plutôt que la plaque était imprimée partiellement sur plusieurs feuilles qui étaient ensuite assemblées. L’existence d’un léger décalage des traits gravés à la jonction de deux feuilles sur certaines épreuves exclut d’autre part que des feuilles vierges aient été raboutées avant l’impression. Il manque notamment quelques millimètres de gravure à la jointure des deux feuilles supérieures (réduisant la hauteur du crâne) sur l’épreuve du Metropolitan Museum of Art.

Références : Adam Bartsch : Le Peintre graveur, vol 16, 1818, p. 131-132 ; The Illustrated Bartsch, 1978, p. 194 ; Jane Martineau et Charles Hope (éditeurs) : The Genius of Venice, 1500-1600 : catalogue de l’exposition à la Royal Academy of Arts, Londres, 1983, p. 346-347, n° P52 ; Gert Jan Van Der Sman : Le siècle de Titien - Gravures vénitiennes de la Renaissance, 2003, p. 168 ; Massimo Firpo et Fabrizio Biferali : Battista Franco «pittore viniziano» nella cultura artistica e nella vita religiosa del '500, Pisa, 2007 ; Anne Varick Lauder : Battista Franco, coll. «Dessins italiens du musée du Louvre», t. VIII, 2009 ; Lea Salvadori (1991) : 'Riflessioni sull'opera incisa di Battista Franco', Arte documento, 5, 148-57 ; Wendy Thompson : ‘An Unknown Portrait Series by Battista Franco’, Print Quarterly, vol. 26, n° 1, Mars 2009, p. 3-18 ; Eckhard Leuschner et Alois Brunner : Artificio et elegantia : eine Geschichte der Druckgraphik in Italien von Raimondi bis Rosaspina, 2003.

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