Charles MERYON : Bain-froid Chevrier dit de l’Ecole - 1864

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Eau-forte, 130 x 145mm. Delteil 44 VI/VI, Schneiderman 93 V/VI.

Une des 25 épreuves de l’état définitif sur papier vergé filigrané hudelist à côté du tirage à 50 épreuves imprimées avec un court poème. Bon état général. Feuille : 250 x 190 mm.

Sous la gravure, Meryon a écrit à l’encre une importante dédicace : À Monsieur Gaudu, Directeur-Gérant du Bain-Froid Chevrier ; Faible témoignage de reconnaissance, pour le bon accueil que j’ai trouvé dans cet Etablissement, où j’ai pu suivre un régime qui m’a en grande partie rendu la santé ; et la facilité qu’il m’a laissée de dessiner ce dit établissement, dont j’ai pris le titre pour celui de ce présent sujet. Paris, ce 18 Octobre 1864, son bien dévoué et très humble serviteur Méryon (Charles).

Meryon a signé cette dédicace en écrivant son nom avec un accent. Delteil affirmait que Meryon écrivait toujours son nom sans accent parce que c’était un nom anglais (Delteil, 1907, Avis au lecteur). Or, Meryon a souvent signé son nom avec l’accent. Le 22 août 1867, il signe deux fois avec l’accent à la fin de sa lettre à M. Martin, secrétaire de l’asile de Charenton (Lettre de Charles Meryon à M. Martin…). Burty, qui correspondait avec lui, écrit Méryon avec l’accent dans la Gazette des Beaux-Arts en 1863, du vivant de Méryon. L’Art Institute of Chicago conserve un reçu que Meryon lui avait signé, en écrivant son nom avec et sans accent. Meryon évoque lui-même dans une lettre écrite en 1865 le rapport ambigu qu’il entretient avec son nom : 

«… j'étais connu sous le nom de Gentil, n'ayant pris celui de Meryon que lorsque je commençai ma carrière de marin ; ce nom est celui d'une famille résidant en Angleterre, et de l'un de ses membres les plus anciens, M. C. L. Meryon que je crus longtemps mon père, mais qui n'a été, je pense, que mon tuteur. (…) D'ailleurs, ce nom, je prétends l'avoir dûment acquis par mes œuvres qui me sont toutes personnelles, et je dirai même que le genre de ma vie, tant passée que présente, en justifie assez bien, ce me semble, la composition étymologique.» (Meryon, Lettre du 29 mai 1865 … pp. 19-20)

Nous n’essaierons pas de deviner à quelle « étymologie » de son nom pense exactement Meryon. Cette lettre montre en tous cas qu’il était attentif à l’orthographe de son nom.

Le 10 octobre 1864, Meryon écrit à Henri Le Secq qu’il a fini de graver le Bain-Froid Chevrier que celui-ci lui avait commandé. Il dit qu’il a signé un bon à tirer pour 12 épreuves sans la lettre, qu’il gravera celle-ci le lendemain, et fera ensuite procéder au tirage. Il confirme qu’il lui livrera la planche du Bain-Froid Chevrier, comme il l’a accepté, dit-il, malgré ses réserves, mais lui demande de la détruire « après un tirage raisonnable ». Le 14 octobre, il informe Le Secq qu’une impression de 50 épreuves avec les vers est en cours. Le 16 octobre, il signe un bon à tirer pour 25 épreuves sans les vers (Schneiderman p. 185). Le 18 octobre, il décrit à Le Secq le tirage des 50 épreuves avec les vers imprimés sous le sujet en mine-orange, or, bleu ou noir, et redit qu’il souhaite que la planche soit détruite. Le même jour, il dédicace plusieurs épreuves à des connaissances, dont  Monsieur Charles Philippon, Professeur de Mathématiques au Lycée Napoléon. Philippon, qui est aussi peintre, est un ancien élève de David auprès de qui Meryon avait pris des leçons (Meryon, Notes particulières...) et pour lequel il a gravé la grande eau-forte représentant le Lycée Napoléon ou Collège Henri IV à vol d’oiseau (Schneiderman 91).

L’épreuve du Bain-froid Chevrier que nous présentons est celle que Meryon adresse ce même jour, 18 octobre 1864, à Monsieur Gaudu, Directeur-Gérant du Bain-froid Chevrier. Elle comporte une longue dédicace dans laquelle il lui témoigne sa reconnaissance pour deux motifs. En premier lieu, pour le bon accueil qu’il a trouvé dans son établissement, où le régime qu’il a suivi lui a « en grande partie rendu la santé ». Dans sa biographie très documentée de Meryon, R.  Collins note cette amélioration : « La fréquentation du Bain-froid Chevrier tenu par M. Gaudu à côté du Pont-Neuf fut profitable à sa santé physique et mentale. » (R. Collins, 1999, ch. IX, p. 196). Notons que Meryon ne dit pas ici que les bains froids lui ont permis de recouvrer entièrement la santé, mais seulement « en grande partie ». Il sera réinterné à l’asile d’aliénés de Charenton deux ans plus tard, en octobre 1866.

Le second motif de reconnaissance que Meryon mentionne dans sa dédicace est la « facilité » que le directeur lui « a laissée de dessiner ce dit établissement ». Nous ignorons si cette « facilité » se réduit à une simple autorisation ou s’il fait allusion à certaines commodités. Seymour Haden a raconté que Meryon était parfois empêché de dessiner sur la voie publique par des sergents de ville « qui le faisaient partir » (J. van Breda, p. 185). La « facilité » pourrait être une intervention du directeur en sa faveur.

Meryon a fait plusieurs croquis préparatoires pour le Bain-froid Chevrier. Delteil en mentionne deux (L. Delteil, 1907, n°44). J. van Breda suppose qu’ils furent achetés à Meryon par Burty (van Breda, p. 184) puis rachetés ultérieurement par Seymour Haden, qui les exposa à Londres en 1879 (Burlington Fine Arts Club, n°122, p. 44) et les emporta aux Etats-Unis, où ils furent exposés à New York en 1898 (Grolier Club, 1898, N°123, p. 54). Dans son article sur la genèse du Bain-Froid Chevrier, J. van Breda signale une troisième étude « récemment redécouverte » (J. van Breda, p. 184-185). Deux lettres de Meryon citées par Delteil nous apprennent qu’il privilégiait la vision qu’il voulait donner des lieux par rapport à la  réalité. Après avoir informé Le Secq, le 13 Juillet 1864, qu’il avait « fait une assez bonne partie » du dessin, Meryon lui écrit en effet quinze jours plus tard pour expliquer qu’il a dû le refaire : «…j'ai fait de nouveau, sous un aspect plus favorable, une partie de mon dessin qui ne se présentait pas très bien dans ma première esquisse, où j'avais pris les choses telles qu'elles sont dans la réalité. ».  Le 10 Octobre, dans la lettre où il informe Le Secq qu’il a fini de graver la plaque, Meryon fait le compte du temps passé à la réalisation de l’œuvre et rappelle qu’il a dû recommencer son dessin : « J'avais fait un premier dessin au trait de la vue telle qu'elle se présente en réalité; mais le Pont-Neuf se trouvant ainsi trop de profil, j'en recommençai un second, afin d'avoir quelque chose de plus complet. ». Il lui confie aussi qu’il a appliqué un « procédé tout particulier » pour composer son image : « Je me réserve de vous faire de vive voix d'autres communications plus intimes, ayant trait, toujours au procédé tout particulier que j'ai appliqué pour cette pièce. » (Schneiderman, p. 185). J. van Breda s’interroge sur ce « procédé tout particulier » et cite Seymour Haden qui explique que Meryon faisait rarement un seul dessin mais réalisait plusieurs croquis à partir desquels il composait son sujet (J. van Breda, p. 185). Dans son article sur L’œuvre de Charles Méryon publié dans la Gazette des Beaux-Arts, Burty disait que Meryon avait volontairement grandi les tours de Notre-Dame et les immeubles des quais dans Le Petit Pont (Schneiderman 20) en « cousant » ensemble (disait-il) les croquis effectués à deux niveaux différents, l’un au bord de l’eau, l’autre en haut du quai (Ph. Burty, 1863).

Le cuivre du Bain-froid Chevrier n’a pas été détruit. Il est conservé à la Bibliothèque nationale de France.

Références : C. Meryon, Notes particulières concernant les circonstances et événements divers de ma vie et Suite des notes relatives aux particularités et événements de ma vie, manuscrits, Bibliothèque Nationale de France, RES Yb31673 (1,2) (NB : le second document est archivé sous le titre « Vente des notes relatives… » dans le fichier de la BnF le mot Suite ayant été mal lu) ; Lettre du 29 mai 1865, publiée par M. Anatole de Montaiglon dans les Archives de l'art français, 1877 ; Lettre de Charles Meryon à M. Martin, secrétaire de l'asile d'aliénés de Charenton, 22 août 1867, Bibliothèque Nationale de France ; Ph. Burty, « L’œuvre de Charles Méryon » dans La Gazette des Beaux-Arts, 1863, t. 14, pp. 519-533 & t. 15, pp. 75-88 ; Exhibition of a selection from the work of Charles Méryon, Burlington Fine Arts Club, 1879 ; A. Bouvenne, Notes et Souvenirs sur Charles Meryon, Paris, 1883 ; A Catalogue of Etchings and Drawings by Charles Meryon exhibited at the Grolier Club, New York, from January 28 to February 19 1898 ; H. Mansfield, A catalogue of Etchings ans drawings by Charles Meryon and Portraits of Meryon in the Mansfield Collection, The Art Institute of Chicago, 1911 ; L. Delteil, Le Peintre-Graveur illustré, tome second, Meryon, Paris, 1907 ; L. Delteil, Meryon, Rieder, 1927 ; R.S. Schneiderman, Charles Meryon, The Catalogue Raisonné of the Prints, Garton & Co., London 1990 ; R. Collins, Charles Meryon, A Life, Garton & Co, 1999 ; Art Institute of Chicago, 1909.206 ; J. van Breda, Charles Meryon and the Genesis of the Bain-Froid Chevrier, Print Quarterly, vol. XXIX, number 2, June 2012 pp. 181-188.