Jean-Etienne LIOTARD : Petit autoportrait gravé - c. 1731

VENDU
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Eau-forte, 117 x 100 mm. Tilanus 1 ; Roethlisberger et Loche 18.

Contre-épreuve (1), imprimée sur papier vergé, d’un 1er état (sur 3) dont on ne connaît aucune épreuve ; avant de nouvelles tailles sur les cheveux, le visage et le fond. Feuille : 123 x 107 mm. Monté à claire-voie sur un feuillet de papier vergé (240 x 165 mm).

Au verso, annotation ancienne au crayon : Liotard dessiné et gravé par lui-même ; au-dessous marque de collection à l’encre : Soliman Lieutaud 1839 (Lugt 1682).

Provenance : Soliman Lieutaud ; Hippolyte Destailleur.

Si Liotard a peint ou dessiné vingt autoportraits, à l’huile, au pastel, à la craie ou sur émail, il n’en a gravé que deux : le premier vers 1731, le second cinquante ans plus tard, vers 1780. Il a environ trente ans lorsqu’il grave cet autoportrait vu de trois-quarts en gros plan, fort inhabituel (Leeflang, 2011), dont les boucles de cheveux en désordre évoquent les autoportraits échevelés de Rembrandt au même âge. La datation de l’œuvre reste incertaine : 1730 (Leeflang, Rijksmuseum) ; 1731 (R.M. Hoisington) ; 1732 (date écrite à l’encre sur l’épreuve de l’Album Louis-Philippe - Château de Versailles et de Trianon) ; 1733 (British Museum, The Metropolitan Museum). L’épreuve du 3e état conservée par la Bibliothèque nationale de France porte une annotation, attribuée jadis par erreur à Liotard, qui date l’œuvre de 1733 (Tilanus, 1897). Liotard semble un peu plus âgé que sur l’autoportrait peint à l’huile en 1727 que Tilanus jugeait très ressemblant (Tilanus, 1897, p. 140).  Roethlisberger et Loche estiment qu’il n’existe pas d’indice probant permettant de dater précisément cette gravure.

L’autoportrait gravé présente un avantage  pour le peintre : tandis qu’il doit toujours graver un sujet à l’envers sur la plaque pour qu’il s’imprime à l’endroit sur le papier, il peut graver par contre son visage tel qu’il le voit dans un miroir. C’est très probablement ce qu’a fait Liotard, qui a écrit en bas dans la planche : dapres nature, pour souligner qu’il avait gravé son portrait directement sur la plaque vernie, sans l’aide d’un dessin préparatoire (Hoisington, 2013, p. 95).

Il ne subsiste aucune épreuve connue du 1er état de cette gravure. On ne connaissait jusqu’à présent qu’une contre-épreuve conservée par la Fondation Custodia (collection Frits Lugt) et décrite dans le catalogue de Roethlisberger et Loche sous le n°18 : « Contre-épreuve, tirée presque certainement par l’artiste d’un premier tirage inconnu, peut-être pour comparaison avec le dessin préliminaire présumé. » (Roethlisberger et Loche, p. 244 ;  ill. p. 243, fig. 24). Si l’existence de deux contre-épreuves atteste qu’il a été tiré au moins une épreuve d’un premier état, il est très douteux par contre que Liotard ait copié un dessin préliminaire : il n’aurait pas écrit sinon dapres nature sur la plaque. On peut supposer plutôt qu’en l’absence de dessin préparatoire, il a imprimé ces contre-épreuves pour mieux voir le dessin gravé sur le cuivre et pouvoir placer exactement les nouvelles tailles sur la chevelure, le visage et le fond, qu’on peut voir dans les épreuves du 2e état. A moins qu’il ait voulu imprimer ces contre-épreuves pour représenter son « autoportrait dans le miroir »...

Les épreuves de ce premier autoportrait gravé de Liotard sont rarissimes. Dans l’article qu’il consacre à l’acquisition d’une épreuve du 2e état par le Rijksmuseum (Bulletin 59 n°2, 2011) H. Leeflang en recense seulement six, en comptant la contre-épreuve du 1er état conservée par la Fondation Custodia (2). Le British Museum, le Metropolitan Museum of Art (3), le Château de Versailles et de Trianon (Album Louis-Philippe) et le Rijksmuseum (4) conservent chacun une épreuve du 2e état. La Bibliothèque nationale de France conserve une épreuve tirée en brun clair du 3e état (sans la tache sur le bord).

Il faut ajouter aujourd’hui cette seconde contre-épreuve du 1er état, qui porte au verso la marque de collection de Soliman Lieutaud (1795-1879), peintre et marchand d'estampes à Paris, réputé  « l'homme de France qui connaît le mieux les portraits qui ont été gravés » (Faucheux, l'Annuaire des artistes, 1860, p. 182, cité par Lugt). Soliman Lieutaud publia divers ouvrages de référence dont plusieurs listes de portraits français gravés. Sa collection de portraits fut vendue à Drouot en février et mai 1881 ; chaque cession dura six jours. Le Catalogue des portraits français et étrangers de la collection de feu M. Soliman-Lieutaud iconophile (7 février 1881) comptait 1375 lots. Le numéro 805 mentionne : « Liotard dess. et gr. par lui-même. Anonyme. 2 eaux-fortes. Rares. ». Ce libellé correspond à l’annotation au verso de notre épreuve, qui pourrait être l’une des deux.

Cet autoportrait de Liotard figurait dans un recueil factice in‑4, relié au XVIIIe siècle, comportant une centaine de portraits gravés de peintres, sculpteurs, musiciens, médecins et savants du XVIe au début du XIXe siècle. Le contreplat supérieur du recueil portait l’ex-libris d’Hippolyte Destailleur (1822-1893), architecte, dont la collection d’estampes française du XVIIIe siècle fut vendue en 1890 (Lugt 740). En 2006, l’exposition Portraits d’artistes de la collection d’Hippolyte Destailleur au Musée Carnavalet a présenté un ensemble de dessins provenant de ses albums de portraits. La Bibliothèque nationale de France conserve un ensemble d’albums de dessins et de gravures acquis de son vivant (Fonds Destailleur).

(1) Une contre-épreuve se réalise en pressant une épreuve fraîchement imprimée sur une feuille de papier afin de reproduire dans le même sens le dessin gravé sur la plaque.

(2) « vendue par Christopher Mendez à la Collection Lugt en 1982 » (British Museum, notice n°1852,0214.357) ; Christopher Mendez, Londres (cat.50, 1982, n°19, repr.). Voir aussi : Fondation Custodia, Morceaux choisis.... 1994, n°75, p.162

(3) « Christie's, Londres, April, 8, 2009 (lot 22); vendor : Helmut H. Rumbler » (Metropolitan Museum of Art, n°2009.229).

(4) Acquise en 2009. « Le Rijksmuseum est particulièrement reconnaissant envers Christopher Mendez pour son aide indispensable dans l’acquisition de l’autoportrait de Jean-Étienne Liotard » (Leeflang, 2011, p. 207).

Références : Drouot, vente du 7 au 12 février 1881 : Catalogue  des portraits français et étrangers de la collection de feu M. Soliman-Lieutaud iconophile ; Fonds du Château de Versailles et de Trianon, INV.GRAV.LP 67.94.1, Jean-Étienne Liotard ; British Museum, 1852,0214.357 : Self-portrait of Jean Étienne Liotard ; Ed. Humbert, Alphonse Revilliod, Jan Willem Reinier Tilanus, La vie et les œuvres de Jean Étienne Liotard (1702-1789) : étude biographique et iconographique, Amsterdam, 1897 ; Morceaux choisis parmi les acquisitions de la collection Frits Lugt réalisées sous le directorat de Carlos van Hasselt 1970-1994, Fondation Custodia, Paris, 1994 ; Hans Boeckh, Bodo Hofstetter, Renée Loche, Marcel Roethlisberger, Liotard : catalogue, sources et correspondance, Doornspijk, 2008 ;  Christie’s, Old Master, Modern & Contemporary Prints, vente du 8 avril 2009, lot 22 : Liotard, Self-Portrait as a young Man ; The Metropolitan Museum of Art, 2009.229 : Liotard, Self Portrait as a Young Man ; Rijksmuseum, RP-P-2009-294 : Zelfportret van Jean Étienne Liotard ; Frits Lugt, Les Marques de Collections de Dessins & d’Estampes ; H. Leeflang, 'Acquisitions : The Print Room : A Self-Portrait by Jean-Étienne Liotard from the Artist's Family Holdings', The Rijksmuseum Bulletin 59 n°2 (2011), p. 204-207 ; Rena M. Hoisington, dans Perrin Stein, Charlotte Guichard, Rena M. Hoisington, Elizabeth M. Rudy, Artists and Amateurs: Etching in 18th-century France, Metropolitan Museum of Art, New York, 2013, p. 95 et sq.

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